Anna, 77 ans
Total est venu et a divisé nos familles.
En 2006, de larges réserves de pétroles ont été découvertes au cœur du parc naturel protégé des Murchison Falls en Ouganda. Total, associée à d’autres compagnies pétrolières anglaise et chinoise (Tullow et CNOOC Limited) s’est ainsi positionnée pour développer un projet d’une envergure colossale.
Total va forer plus de 400 puits, permettant d’extraire environ 200 000 barils de pétrole par jour. De plus, un oléoduc géant de 1445 km de long sera construit pour transporter le pétrole, impactant des territoires à la fois en Ouganda et en Tanzanie.
En tout, plus de 10 milliards de dollars sont investis pour ce projet pétrolier démesuré.
Pourtant, la mobilisation citoyenne a déjà gagné : dans cette même région des Grands Lacs, Total a renoncé à exploiter du pétrole dans le parc naturel des Virunga en République Démocratique du Congo. Il est donc impensable que la multinationale puisse lancer en parallèle un projet similaire en Ouganda, juste de l'autre côté de la frontière.
Avant même le début de l'exploitation, les impacts sur les populations locales sont déjà désastreux.
Comprendre de quoi est fait ce méga-projet pétrolier :
1. Le projet « Tilenga » opéré par Total :
- développement de 6 champs pétroliers : 419 puits seront forés sur 34 plateformes pétrolières, principalement à l’intérieur même de l’aire naturelle protégée des Murchison Falls, permettant une production d’environ 200 000 barils par jour
- construction d’une zone industrielle, notamment une usine de traitement (« CPF »), en bordure du parc, dans le district de Buliisa
2. Une raffinerie et un aéroport, construits par le gouvernement ougandais
3. Un méga-oléoduc (« EACOP » - East Africa Crude Oil Pipeline), construit par un consortium composé de la multinationale française Total, la britannique Tullow, la chinoise CNOOC et les gouvernements ougandais et tanzanien, qui traversera 1445 km depuis la raffinerie jusqu’au port de Tanga en Tanzanie.
4. D’autres infrastructures (construites par Total, ses partenaires et le gouvernement), dont notamment :
- un système de pompage d’eau du lac Albert pour les besoins des puits pétroliers ;
- un réseau de 180 km combinés de pipelines, passant y compris sous le Nil, pour transporter pour certains le pétrole et le gaz produits, et pour d’autres l’eau ;
- des sites de stockage et de traitement des déchets pétroliers ;
- de nouvelles routes pour faciliter le développement de cette industrie pétrolière.
Des dizaines de milliers de personnes risquent d'être impactées par l’exploitation du pétrole et la construction des infrastructures associées. En Ouganda, selon les témoignages recueillis :
- Les familles subissent des intimidations et doivent quitter leurs terres, bouleversant ainsi totalement leurs modes de vie.
- Certain·es habitant·es n’ont d’ores et déjà plus le droit de cultiver car leurs terres ont été accaparées : des familles entières sont ainsi laissées pour compte. Elles n’ont plus les moyens d’acheter leur nourriture et ne peuvent plus bénéficier des fruits de leurs terres.
- Parmi les personnes qui ont déjà été expulsées, certaines attendent désespérément une nouvelle maison. Pour celles qui ont déjà reçu une compensation financière, elles en contestent fortement le montant, expliquant qu’il ne leur suffit pas pour racheter des terres et cultures équivalentes.
- Des enfants doivent quitter les bancs de l’école : leurs parents ne peuvent plus payer les frais de scolarité.
Les habitant·es dépendent principalement de l’agriculture et de la pêche ; des secteurs directement menacés par ce méga-projet. Si rien n’est fait, des milliers de vies seront bouleversées dans l’impunité la plus totale.
Découvrez leurs témoignages :
Ce méga-projet est développé en plein cœur d’une aire naturelle protégée qui abrite des écosystèmes exceptionnels.
C’est un sanctuaire de biodiversité fragile.
On y trouve de plus de 500 espèces d'animaux dont certaines menacées : lions, éléphants, hippopotames, girafes, phacochères, ainsi que de nombreuses espèces d'oiseaux.
Le lac Albert, une des sources du Nil, se trouve également dans la zone où Total s’apprête à forer. Sa contamination pourrait être dramatique pour les poissons et les populations qui dépendent de la pêche, sur ce fleuve qui compte parmi les deux plus longs du monde.
Et le climat ?
Contenir la réchauffement climatique sous la barre de 1,5 ° est un impératif pour la survie de l’humanité et de la planète. Ce type de projet pétrolier, en plus de présenter un risque direct pour l’environnement, ne fait que contribuer massivement au dérèglement climatique et nous mène tout droit vers la catastrophe. Chaque dixième de degré compte : nous devons empêcher ce projet de voir le jour si nous voulons éviter le chaos climatique.
Total est la légataire de Elf. L’ancienne compagnie publique française a été rachetée alors qu’elle était engluée dans des affaires de corruption. Ses dirigeants ont été condamnés par la justice.
Aujourd’hui, une idée se répand : l’influence des entreprises françaises en Afrique se réduirait pour laisser la place à des capitaux d’autres pays, notamment chinois. Pourtant, leurs affaires se portent bien, dans le pré carré de la Françafrique mais aussi, de plus en plus, en dehors... Y compris dans des pays autoritaires comme l'Ouganda. Total est ainsi l'opérateur principal de ce méga-projet pétrolier dans un pays anglophone.
Le respect de la loi ?
En avalant Elf, Total a récupéré ses marchés mais s’est aussi dotée d’un puissant outil d’influence. Total sait se jouer des lois, avec le soutien complaisant des dictateurs et dirigeants, y compris du gouvernement français.
Découvrez notre enquête :
Depuis de nombreuses années, les Amis de la Terre sont mobilisés pour démanteler le pouvoir des multinationales, et ont ainsi été au cœur du combat pour l’adoption de la loi française sur le devoir de vigilance des multinationales, finalement promulguée en 2017. Survie a soutenu cette bataille législative ouvrant la voie à un nouveau type de procédures judiciaires, et s’associe aux Amis de la Terre pour faire condamner une des entreprises françaises qui pille le sous-sol de l’Afrique.
Total fait partie des 25 plus grandes multinationales du monde et son activité, décomposée en milliers de filiales, franchises et sous-traitants, l’a rarement exposée à des sanctions juridiques.
C’est ce système auquel s’attaque cette nouvelle loi française : concrètement, les maisons-mères des multinationales peuvent enfin être tenues responsables des atteintes aux droits humains et à l’environnement que peuvent provoquer leurs activités, en France comme à l’étranger.
Depuis des mois, nous enquêtons sur le terrain pour faire toute la lumière sur les atteintes commises par Total dans le cadre de ce nouveau projet pétrolier en Ouganda.
Nous avons ainsi rassemblé documents et témoignages qui pointent la responsabilité de Total. Les preuves s’accumulent.
Avec ce cas concret, nous voulons donc nous assurer de l’application ambitieuse de cette nouvelle loi : elle nous permet de saisir la justice avant tout dommage, pour empêcher Total de faire peser des risques considérables et irréversibles sur les habitant·es, la biodiversité, l’environnement et le climat. Surtout, si les juges confirment que des violations sont avérées, cette loi peut nous permettre de faire condamner l'entreprise à réparer les dommages causés et indemniser les populations affectées.
Total est une multinationale très puissante. Ses moyens financiers considérables risquent de faire durer cette bataille juridique sur plusieurs années. Elle va tout tenter pour nous faire renoncer. C’est pourquoi le soutien de toutes et tous est essentiel : le pouvoir citoyen peut nous permettre enfin d'obtenir justice face à Total.
Les étapes de la procédure :
- 24 juin 2019 : Nous avons envoyé un courrier de mise en demeure à Total, pointant les éléments de non respect de la loi sur le devoir de vigilance par l’entreprise. Elle a trois mois pour nous répondre et se mettre en conformité avec ses obligations : élaborer, publier et surtout mettre en œuvre de façon effective les mesures à même de prévenir les atteintes graves aux droits humains et à l’environnement dans le cadre de ce projet en Ouganda. Voir notre communiqué du 25 juin 2019 et le dossier de presse.
- 24 septembre 2019 : Au bout du délai légal de 3 mois, Total a répondu à notre mise en demeure niant tout problème dans son plan de vigilance et dans ses pratiques en Ouganda. La situation sur le terrain continue pourtant d'être dramatique. Voir notre communiqué du 26 septembre 2019.
- 23 octobre 2019 : Nous saisissons le Tribunal de Grande Instance de Nanterre afin d'assigner Total en justice. Il s'agit de la toute première action en justice sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales. Au vu de l'urgence, nous avons saisi le juge des référés. Voir notre communiqué du 23 octobre 2019.
- 12 décembre 2019 : L'audience s'est tenue au tribunal de grande instance de Nanterre. Vu l'importance du dossier, il a été jugé en formation collégiale (3 juges au lieu d'un). Voir notre communiqué du 12 décembre 2019.
- Depuis leur retour dans leur pays, les deux représentants des communautés venus témoigner à Paris ont été cibles de nouvelles pressions et intimidations. Voir nos communiqués des 14 et 26 décembre, et l'appel urgent de la FIDH
- 30 janvier 2020 : Le tribunal de grande instance de Nanterre a rendu sa décision, se déclarant incompétent au profit du tribunal de commerce. Il ne s'est pas prononcé sur le fond de l'affaire, cette décision ne contredit donc en rien nos accusations portées contre Total. Voir notre communiqué du 30 janvier 2020.
- 16 mars 2020 : Nous faisons appel dans un contexte de justice au ralenti en raison de la crise du coronavirus. Voir notre article du 25 mars 2020, suite auquel Total a demandé un droit de réponse.
- 28 octobre 2020 : Audience à la Cour d'appel de Versailles. A cette occasion, nous publions une nouvelle enquête qui révèle que les violations des droits des communautés persistent et touchent maintenant plus de 100 000 personnes en Ouganda et en Tanzanie.
- 10 décembre 2020 : La Cour d'appel de Versailles confirme la décision de première instance donnant compétence au tribunal de commerce. Nous décidons de nous pourvoir en cassation. Voir notre communiqué du 10 décembre 2020.
- Le harcèlement et les intimidations visant des opposants au projet s'intensifient en Ouganda, avec des arrestations de membres de notre association partenaire AFIEGO en mai et en octobre.
- 15 décembre 2021 : La Cour de cassation tranche en notre faveur, reconnaissant la compétence du tribunal judiciaire de Nanterre. Le fond de l'affaire va enfin pouvoir être examiné dans les prochains mois. Voir notre communiqué du 15 décembre 2021.